Mes illusions que j'ai ma vie en main, que je suis maître de mon destin. J'ai perdu l'instinct de survie, la rage de me battre.
Je me suis trop battue, trop investie, j'ai trop donné et j'ai envie de recevoir sans réserve, sans conditions, sans jugement.
Face à "plus fort que moi" il ne reste que la résignation, la fatigue, la lassitude.
A quel moment est-ce arrivé ? Je ne sais le dire avec certitude, cela s'est installé à mon insu, malgré moi, malgré ma bonne volonté de lutter, toujours lutter.
Les matins sont difficiles, la nuit, si courte qu'elle soit, m'apporte un peu sérénité qui se distille dans les premières lueurs de la nouvelle journée qu'il faut affronter.
Remplir mes journées, remplir mes soirées, accepter un médicament qui m'aide à réfugier dans un sommeil artificiel pour échapper à la lourdeur qui me pèse.
Comment vais-je arriver à m'en sortir ? Comment vais-je arriver à trouver une issue de ce cauchemar que je n'ai pas invité ? Un de plus, un de trop ??
Retourner dans l'enseignement après 7 ans d'absence, retourner devant une classe, retourner donner cours, préparer, corriger, répéter, rentrer à des heures impossibles pour concilier "vie de famille" et travail. Partir quand les autres rentrent. Travail en décalé, travail sur une corde qui ne garantit aucune certitude. Retrouver des salles de classe ci et là, refaire des trajets insensés, éduquer au respect, assoir mon autorité. Me refaire une place quelque part, boucher des trous.
Ecrire au tableau, jouer du piano, chanter et dicter. Courber le dos pour rectifier, motiver les plus faibles…
Rentrer cassée, rentrer fatiguée, trop fatiguée pour apprécier le hors-travail…
Je l'ai fait si longtemps, j'ai travaillé ainsi et je sais que cela ne va pas dans le sens que je veux donner à ma vie aujourd'hui. Attendre septembre avant d'avoir une chance minime pour rassembler assez d'heures pour savoir en vivre. Attendre juillet, les organisations d'école avant de prendre une quelconque initiative.
Que je retourne dans l'enseignement semble la seule solution pour presque tous ceux qui connaissent ma situation actuelle, comme si on pensait qu'enseigner se situe quelque part entre le club med et une cure de jouvence, une chouette occupation couplée avec des vacances sans fin. Travailler quelques heures, pourquoi s'en plaindre ?
Peut-être parce que donner 6 heures de cours n'est pas être assise à son bureau, ce n'a rien à voir avec un autre travail, cela n'est pas "juste être là". Ce sera 6 heures sans pause café, 6 heures à ne pas lâcher l'attention, 6 heures à être entièrement responsable, sans pause pipi, sans pause entre les heures pour souffler. Et cela me fait peur.
Je ne suis pas dans l'enseignement qui sonne la grande pause et les inter-cours, je suis là où les élèves se suivent sans répit, les uns après les autres, tous différents, beaucoup y sont parce que cela occupe bien leurs après-midi de libre, parce que le cours se combine si bien avec l'entraînement de basket. Combien d'enfants on réellement envie d'apprendre la musique et combien y sont parce que les parents travaillent, parce qu'ils ont rêvés de le faire jeune et qu'ils pensent qu'obliger leurs progéniture à suivre cette formation leur confère le statut qu'ils n'ont pas eu ?
Si je me battais, si je disais non à tout cela, si je me lançais dans une toute autre forme de travail ? Mais non, je ne peux pas, je suis trop vieille pour suivre des formations et j'ai une famille à faire vivre, un loyer à payer, des frais à assumer… on ne décide plus de sa vie comme on veut à mon âge, on suit le chemin tracé jusqu'à la fin.
En attendant je suis chômeuse, je suis toujours en attente d'indemnité puisque mon dossier n'est pas complet, puisqu'il manque quelques documents de mon dernier employeur qui ne se donne pas la peine d'aller "vite"…
Demain je retourne pointer, je retourne pour y laisser mon cv si beau et si fourni, si inutile, si désuet. Je retourne dans la file d'attente de ceux qui sont comme moi, plus capables d'exercer à temps plein, ceux qui ont eu un accident de parcours, ceux qui attentent comme moi… fatalistes et désabusés.